LES ANAGRAMMES DES ANAGRARBRES
LES ARBRCHITECTURES – LES ANAGRARBRES
Des arbres singuliers, aux écorces complexes, réalisés à l’encre de Chine, avec des collages, et accompagnés la plupart du temps de titres et de leurs anagrammes. Voici ceux que je nomme les Anagrarbres.
Mais décrivons leur construction, leur architecture, leur Arbrchitecture.
Tout est encore parti d’une contrainte.
La contrainte n’entrave pas, elle oriente, elle favorise la découverte. Elle est un cadre qui révèle l’inattendu, qui force l’esprit à explorer ce qu’il n’aurait pas cherché lui-même.
J’avais découvert cela en atelier d’écriture, dans les jeux linguistiques de L’Oulipo, de l’Oupeinpo et de l’Oubapo.
La contrainte qui suit est de toute évidence une contrainte artistique volontaire.
Un jour, j’ai rêvé un arbre.
Un arbre rassemblant en son tronc toutes les écorces des différentes essences. Un arbre qui contenait en lui une diversité de formes et de textures, une multiplicité tendant vers l’unité. Une sorte de construction arbrchitecturale forte d’universalité par la prolifération de ses motifs. Un arbre avec une pensée rhizomatique, tout en interconnexions. L’arbre qui est lui-même en toute singularité mais qui est aussi une mémoire de tous les arbres.
J’ai dessiné mon rêve.
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RÊVE
D’ARBRE Dessin à l’encre de Chine 15x20cm |
J’ai cherché un titre à ce dessin, finalement je me suis amusé à créer des acrostiches avec le mot arbre.
Avoir une telle envie de prendre le temps : Respirer, se sentir vacant. Bois et forêts nous ont accueillis : Rêve d’arbre… Ensuite j’ai dessiné mon rêve… |
Appliqué le jour à dessiner troncs et écorces Rêvant la nuit à la multiplicité des essences Beaucoup de différences dans ces lignes Réseaux dessinés sur le tronc Et j’ai dessiné mon rêve… |
Arbre unique, éthique, Rassemblant en son tronc Bien des dessins d’écorces différentes Révélant un agencement du multiple dans l’un Éternité faite arbre… |
Arbre unique Rassemblant toutes les essences Beaucoup d’écorces différentes Rhizome dissimulé Élan vital créatif |
Et finalement :
Arborescence
Rêvée
Bien des écorces
Rassemblées
Ensemble
Quelque chose me
parlait dans cette idée d’arbrchitecture. Je devais trouver
un langage, une structure, une matière. Alors je me suis tourné
vers la gravure.
J’ai créé des bandes dessinées à deux matrices.
J’ai réalisé quelques matrices pour accompagner les textes du poète Hektor Clonk, qui travaillait aussi sous contraintes d’écriture : incipit, phrases-déclencheurs (À l’heure où blanchit la campagne… Mignonne allons voir si…). Hektor Clonk est le père du Gnouvre-Boîte, du Phacochair-Bag et du Camembermuda, entre autres…
J’ai également quelques linogravures de mes propres mots-valises : Le Catalogue de Crapauds pas communs (le Crapoléon, le Craponais et le Crapopeye, entre autres...), les Animots-Valise (dont la célèbre Giraphare et la Rockcinelle, entre autres).
J’ai réalisé alors les similitudes entre les écorces des arbres et mes matrices d’impression. Des creux et des reliefs. L’écorce de l’arbre est une matrice d’impression à part entière… L’écorce est comme gravée...
Mais ceci a ramené d’autres choses en ma mémoire, réminiscences...
Je me souviens…
Je me souviens d’avoir travaillé, il y a quelques années, l’imprimerie naturelle. J’encrais des feuilles de plantes et d’arbres (feuilles de chêne, de châtaignier, d’érable, feuilles de chou, de capucine, de digitale), je les imprimais sur du papier, toutes les nervures apparaissaient.
Je me souviens d’avoir un jour regardé mes doigts plein d’encres. Une empreinte digitale ou dactylogramme est le dessin formé par un doigt sur un support suffisamment lisse pour qu'y restent marqués les dermatoglyphes. Les dermatoglyphes, également appelés « empreintes digitales » par abus de langage, sont des plis (des crêtes et des sillons) à la surface de la peau et particulièrement des doigts, qui forment des volutes et des tourbillons spécifiques à chaque doigt de chaque individu. La probabilité que deux personnes aient les mêmes empreintes digitales est infinitésimale : une chance sur 64 milliards.
Je me souviens de m’être dit que nos peaux étaient toutes dessinées d’ondes. Nous sommes naturellement tatoués.
Je me souviens d’avoir visité le cairn de Gavrinis, la Chapelle Sixtine du néolithique, d’être tombé en fascination devant les gravures des orthostates du dolmen : spirales, cercles concentriques, zigzags, méandres, ondulations... Je me souviens avoir réalisé des dessins sur le sujet.
Je me souviens m’être dit que nous avions Gavrinis au bout des doigts, comme une mémoire ancienne écrite en nous, les traces d’un mystère…
Suite à cette digression à la mode de la contrainte d’écriture des Je me souviens… de Georges Perec, revenons à la genèse des Anagrarbres…
Je me suis donc documenté et j’ai commencé à graver des fragments d’écorces, de diverses essences. J’avais en tête les ondes de Gavrinis et les dermatoglyphes alors que je me plongeais dans la réalisation de mes matrices. Toutes ces choses partagent une même logique.
Mon premier Anagrarbre fut élaboré à partir d’un dessin réalisé près du Lac de Guerlédan (c’est là que j’ai aussi fait mon rêve d’arbre): des pins maritimes.
J’ai réalisé mes premiers Anagrarbres en co-création avec l’artiste costarmoricaine Margot Veenendaal.
Margot a peint le fond du tableau. Margot a eu l’idée géniale d’ajouter la présence d’une écriture, elle a tracé des calligraphies volatiles, des glyphes de l’invisible et de l’interconnexion, langage mystérieux destiné à planer autour de mes arbres
Sur le fond, j’ai dessiné au crayon les pins maritimes que je voulais représenter.
Ensuite est venue l’Arbrchitecture des arbres.
Je piochais dans mes épreuves d’écorces, mes linogravures, je les déchirais, les découpais et les collais pour remplir mes troncs de façon aléatoire. Parfois je collais aussi des bouts de bois de marqueterie.
Chaque collage était un fragment de mémoire, un vestige transformé.
Pour finir, je peignais et redessinais à l’encre de Chine, pour ajouter les ombres et les lumières et pour créer des connexions entre les différents collages de manière que la sève puisse couler. Parfois des formes de personnages (humains, animaux…) apparaissaient. Je travaillais par paréidolie, de la même façon que pour les peintures shamanes.
Je confirmais donc, en les précisant à l’encre, tous ces personnages, invités à habiter les écorces de l’arbre. Je pensais aux anciennes représentations des arbres de vie, notamment celles où l’on trouve entrelacés dans les branches animaux et humains.
Je n’ai jamais été doué pour donner des titres à mes tableaux. Là, il fallait que j’innove…
Il est évident que ce n'était pas assez complexe, et contraignant, de construire mes arbres avec, pour base, des collages de linogravures (représentant des écorces). Alors m’est apparue une autre évidence : ces compositions arbrchitecturales fonctionnaient comme des anagrammes.
Cette aventure de recherche d'anagramme devait apporter quelque chose qui devait faire sens. Je voulais que les anagrammes trouvés soient à-propos, qu'il y ait une interaction justifiée, essentielle, entre le titre et son anagramme. Ou bien que l'anagramme trouvé révolutionne le titre premier, lui apportant, pourquoi pas, une autre dimension.
Mon premier Anagrarbre représentant des Pins Maritimes je lui donnais pour titre :
PIN MARITIME (Anagramme) IMPRIMAIENT
Ainsi se retrouvaient unis les arbres et l’imprimerie des écorces.
Par la suite, plusieurs Anagrarbres ont été réalisés en co-création avec Margot Veenendaal, parfois elle traçait ses calligraphies avant le collage et parfois après.
J'ai alors continué à créer d'autres matrices d'écorces pour augmenter mon vocabulaire.
UN CHÂTAIGNIER (Anagramme) UNI CHANGERAIT
ÊTRE LES TROIS HÊTRES (Anagramme) ÉOLITHES TERRESTRES
BOIS, LES ANCESTRAUX DANSENT (Anagramme) ENTRELACÉS AUX BONDISSANTS
ANCÊTRE NÉ TOTEM (Anagramme) ÉMETTANT ENCORE
ABRACADARBRE ROBE (Anagramme) CADRER RARE BAOBAB
CHÊNE ANCÊTRE (Anagramme) CE RÉENCHANTÉ
EN L’ONDE DU GUI (Anagramme) ONDULE DINGUE
SAULE AU MONDE (Anagramme) AMUSA ONDULÉE
LA FORÊT (Anagramme) FOLÂTRE
Sur les autres Anagrarbres j’ai plutôt utilisé des caractères typographiques. Parfois des mots sont à comprendre, on peut les lire, parfois ce ne sont que des lettres, des atomes.
ARBRE BOUTEILLE (Anagramme) ÉBERLUÉ ORBITAL
ÊTRES DE LA GÉLIVURE(Anagramme) VÉGÉTALISER DÉLURÉ
CARTE ITINÉRAIRE (Anagramme) INERTIE AIR TRACÉ
LE PIN BORD DE MER (Anagramme) PERD BEL ENDORMI
OR EUCALYPTUS (Anagramme) PAYS LOCUTEUR
IL EST LE PIAF (Anagramme) ÉPELAIT FILS
EN INVISIBLE CITADELLE (Anagramme) INCIVILISABLE DENTELÉ
HARPE EN PINS TORDUS (Anagramme) PRENDS EUPHORISANT
ACTE DEUX (Anagramme) ET CAUDEX
ETHNIE EN RÉVEIL (Anagramme) NÉ EN VIEIL HÊTRE
PARÉIDOLIE (Anagramme) DÉPLOIERAI
L’AMBIGUITÉ DE LA SAGESSE (Anagramme) AGISSE L’ÂME, STABLE GUIDE
« Il en va de l’anagramme comme du produit d’une réaction chimique : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Et donc la vie passe son temps à faire des anagrammes. » Etienne KLEIN
Je me souviens que mon père me répétait cette citation d’Antoine Lavoisier sur la conservation des masses lors du changement d’état de la matière : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » La matière ne peut être ni créée, ni détruite, mais seulement transformée. Le nombre d’atomes de chaque sorte sera le même avant et après la transformation.
Dans une anagramme les lettres sont les atomes. Si on mélange les lettres on obtient un mot, une phrase parallèle. Dans les Anagrarbres les collages d’écorces sont les atomes. Il y a une jonglerie des écorces comme il y a une jonglerie linguistique dans les anagrammes.
Quand on cherche une anagramme on cherche à faire naître et à révéler autre chose, un mystère, une énigme, un secret. On veut déchiffrer le hiéroglyphe pour trouver le sens caché et préexistant. Quand je fais naître mes Anagrarbres, je révèle toute une complexité d’interconnexions, je révèle sans mots dire le mystère, l’énigme, le secret, le sens de la vie cachée dans la matière. On voit l’arbre mais autre chose est à lire en cherchant à l’intérieur, lire l’arbre sous l’arbre, comme un palimpseste. Comme pour les anagrammes les secrets sont à chercher.
Pour trouver des anagrammes je joue avec un alphabet de 26 lettres.
Je me souviens avoir écouté des émissions de radio avec Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow et d’avoir pris des notes :
« L’ensemble de l’ADN de l’ensemble des êtres vivants, qui évoluent depuis 4 milliards d’années, est constitué de 4 lettres associées par mots de 3 de ces lettres. Chaque ADN est constitué d’un double bras qui est l’anagramme de l’un dans l’autre sens. Les mêmes lettres se succèdent de manière anticomplémentaires. Les mêmes lettres, support de l’hérédité. L’anagramme est à la base de tout être vivant et des variations. Palindromes et anagrammes sont monnaies courantes dans notre génome. L’ensemble du monde vivant qui nous entoure, et qui nous a précédé, ce qu’il y a de commun entre nous, les arbres, les oiseaux et les bactéries, ce sont des variations sur des anagrammes pas parfaits, une combinatoire. La force de l’émergence et de l’évolution du vivant est cette force de combinatoire qui parfois va donner des anagrammes mais qui résulte de cette recombinaison permanente. »
L’arbre, par sa nature même, est un symbole du temps. Ses cernes racontent les années passées, son écorce ridée est une trace de son combat contre les éléments.
Nous ne faisons pas autre chose : nous accumulons des couches, des traces, des cicatrices, nous prenons des rides, des cernes, nous devenons parfois des vieilles branches.
J’imagine ma tête comme une canopée.
Les Anagrarbres sont une invitation à lire au-delà du visible. Une façon d’interroger ce qui est caché dans la matière, comme on interroge le sens caché des mots, leurs étymologies, leurs racines grecques ou latines ou arabes ou indo-européennes…
C’est ainsi que l’Arbrchitecture est née : dans cette tension entre hasard et structure, dans cette quête d’unité à travers la multiplicité, dans cette intuition qu’en chaque fragment repose un tout. Que tout est dans tout.